Derrière la Coupe du monde, quels intérêts pour le Qatar ?

Publié : 18 novembre 2022 à 7h00 par Théo Palud et Etienne Escuer

Que vise le Qatar en organisant la Coupe du monde de football ?

Crédit : Giuseppe CACACE / AFP

Toute cette semaine, notre rédaction se penche sur le Mondial de football au Qatar qui débute dimanche 20 novembre. Focus sur les grands enjeux géopolitiques qui entourent l’événement.

Jusqu’à ce mois de novembre 2022, le Qatar n’était pas forcément le premier pays auquel on pensait lorsque l’on parlait football. Il faut dire que l’émirat, qui organise la Coupe du Monde, n’a pourtant jamais participé à l’événement (une première depuis l’Italie en 1934, pour le deuxième Mondial de l’Histoire).


 


Qu’est-ce qui a poussé ce pays grand comme la Corse à vouloir accueillir la prestigieuse compétition ? Pour comprendre cela, il faut se replonger dans son histoire. « Le Qatar est un pays assez jeune, indépendant depuis 1971 », rappelle Kévin Veyssière, analyste en géopolitique et auteur du livre Mondial Football Club Geopolitics Tome 2 : 22 Histoires insolites pour comprendre le Mondial. « Son indépendance a tout de suite été remise en cause par ses voisins régionaux, l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis. Le Qatar va donc essayer de trouver des moyens pour s’émanciper de l’ingérence de ses voisins. »

 


Une équipe à l'image de la société qatarienne


 


Le sport devient alors rapidement un moyen de se faire connaître sur la scène internationale, mais aussi un moyen pour l’émir de rassembler la population autour de lui. Arrivé via les marchands étrangers, le football se diffuse alors petit à petit dans la société, notamment dans la capitale, Doha. « L’âge d’or du football qatari arrive dans les années 1980 et début 1990 » explique Raphaël Le Magoariec, doctorant au sein de l’équipe Monde arabe et Méditerranée de l’Université de Tours et coauteur du livre L’Empire du Qatar, le nouveau maître du jeu. « En 1981, le Qatar perd en finale de la Coupe du monde espoirs contre la grande R.F.A, après avoir éliminé le Brésil et l’Angleterre. » S’ensuit toutefois un passage à vide dans les années 1990, bien qu’une nouvelle politique sportive soit impulsée en 1995. Jusqu’à la fin des années 2000, le Qatar opte pour de nombreuses naturalisations de joueurs étrangers pour composer son équipe nationale. Un important centre de formation, l’Aspire Academy, à la pointe de la technologie, voit également le jour en 2004.


 


27 ans après la nouvelle politique impulsée par le nouvel émir, le Qatar va donc disputer sa première coupe du monde. Une qualification décrochée en tant que pays organisateur, et non sur le terrain, même si l’équipe a eu de bons résultats ces dernières années, avec un titre de champion d’Asie en 2019. Les joueurs sélectionnés pour le mondial évoluent tous dans le championnat local. On y retrouve 7 Qatariens, 14 joueurs issus des communautés arabes nés ou ayant grandi dans l’émirat, l’équivalent des bi-nationaux en France, et 5 joueurs naturalisés. « C’est une représentation de la société qatarienne », décrypte Raphaël Le Magoariec. « 90% de la société est étrangère, avec des origines de l’aire culturelle arabe. »

 


Des intérêts géopolitiques derrière la candidature du Qatar


 


Avec l’organisation de cette coupe du monde, le Qatar a la volonté de briller aux yeux du monde via le sport, mais cela va bien au-delà. Comme le rappelle Kévin Veyssière, en s’accaparant la reine des compétitions de football, l’émirat envoie aussi un signal fort à l’Arabie Saoudite et aux Émirats Arabes Unis. « Le fait d’avoir une place dans le concert des nations apporte au Qatar une sécurité et lui permet de ne pas se faire manger par ses voisins, comme le Koweït qui avait été attaqué par l’Irak. » L’émirat en profite aussi pour construire le Qatar de demain. « En 2008, il a lancé un plan Vision 2030 pour se moderniser et attirer les touristes et les investisseurs étrangers », ajoute Kévin Veyssière. « Avec plus de 200 milliards de dollars dépensés pour ce Mondial (contre 20 pour le Mondial en Russie), le Qatar veut s’en servir comme un levier pour la suite et diversifier son économie, qui repose essentiellement sur les énergies fossiles. »Un pari réussi pour le Qatar qui lui permet également de rayonner dans l’ensemble du monde arabe en devenant le premier pays de cette partie du globe à accueillir l’événement. « Il se place un peu dans un rôle paternel en offrant la Coupe du monde à l’ensemble de l’aire culturelle arabe » confie Raphaël Le Magoariec. « Il le rappelle en permanence dans sa communication depuis 2015 : c’est la Coupe du monde des Arabes, et pour les Arabes. »

Une image ternie par les polémiques ?


 


Une envie de s’imposer sur la scène internationale, l’honneur d’être le 1er pays arabe à organiser la Coupe du monde de football, un objectif de développer sur le long terme ses infrastructures : tous les éléments devaient être rassemblés pour que le Qatar véhicule une image positive du pays. Pour l’instant, en Occident, l’émirat croule cependant sous les polémiques, et peine un peu à s’en défaire. « Dès qu’on va jouer un match, on va parler des travailleurs qui sont morts pour construire le stade », rappelle Kévin Veyssière. « Il est aussi possible que des joueurs prennent position sur le terrain contre les conditions d’organisation. » A cela s’ajoutent la question environnementale, l’accueil des supporters ou encore les droits des femmes et des personnes LGBT+.


Le débat sur le boycott reste cependant limité à une partie de l’opinion publique occidentale. En Afrique, en Asie ou en Amérique, la question ne se pose pas. Ce mouvement européen, qui s’indigne du non-respect des droits humains au Qatar ou de l’impact environnemental peut-il avoir un effet dans l’émirat ? Pas vraiment, pour Raphaël Le Magoariec. « Le Qatar recherche surtout de l’influence. L’image, ça l’importe peu. Il savait qu’il allait en pâtir un peu sur le plan de l’image, même s’il ne pensait pas autant », analyse le doctorant tourangeau. « Là-bas, ça reste de toute façon perçu comme une immense hypocrisie. Il y a eu des JO en Chine et une Coupe du monde de football en Russie et les appels au boycott étaient bien moindre. C’est vu comme des Occidentaux qui font la leçon de morale au reste du monde mais qui ne s’appliquent pas vraiment les préceptes qu’ils inculquent aux autres. »

 


Et maintenant les Jeux Olympiques ?


 


Si Kévin Veyssière attend la fin du Mondial le 18 décembre pour dresser un bilan, pour Raphaël Le Magoariec, le pari est déjà gagné pour l’émirat. Le Qatar ne compte d’ailleurs pas s’arrêter là : à l’image de Bahreïn, de l’Arabie Saoudite et d’Abou Dabi, il aura par exemple lui aussi son GP de F1 l’an prochain. L’émirat accueillera en 2023 la coupe d’Asie de football, puis les Jeux Asiatiques en 2030, et voit même plus grand. « Il vise les Jeux Olympiques 2036 », indique Kévin Veyssière, « Le Qatar va devoir continuer cette politique d’investissements pour accueillir les grands événements sportifs dans une logique de rivalité régionale avec l’Arabie Saoudite, qui mène une politique très offensive à ce sujet depuis l’arrivée au pouvoir de Mohammed Bel Salmane. »


Mais un obstacle de taille se dresse pour l’organisation des Jeux Olympiques : le climat local. Les températures descendent rarement sous les 25 degrés la nuit l’été, et grimpent à 40 degrés et plus en journée. « Le sport mondial s’est construit et a été forgé autour des saisonnalités européennes » explique Raphaël Le Magoariec. Reste que la Coupe du monde de football est également traditionnellement organisée l’été. Faut-il donc s’attendre à voir un jour des Jeux Olympiques dits d’été en hiver (européen) dans l’émirat ? « Il ne faut jamais oublier que l’industrie du sport mondial privilégie avant tout le business aux questions des droits humains ou écologiques. On l’a vu récemment avec les Jeux asiatiques d’hiver octroyés à l’Arabie Saoudite. » Comme la Fifa, le Comité international olympique succombera-t-il lui aussi aux pétrodollars ? Réponse dans quelques années.